Devoir de vérité : Qui a tué les moines de Tibéhirine

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N’importe quelle personne avec un minimum d’humanisme doit s’interroger sur les raisons de l’assassinat des moines de  Tibéhirine en Algérie. Le président Nicolas Sarkozy a assuré qu’il levrait le secret-défense sur tous les documents qui seront demandés par la justice française.. Alixis BREZET dans Le Figaro magazine du Samedi 11 juillet 2009 se pose les bonnes questions sans partie prise.

Leur mort, à la différence de celle du «roi de la pop», n’a pas été suivie d’un deuil planétaire, médiatique et obligatoire. Pour eux, ni cercueil doré à l’or fin, ni torrents de larmes cathodiques, ni cérémonie grandiose en mondovision. Leur héritage ne pèse pas son poids de millions de dollars : ils étaient riches seulement de leur foi et de leur pauvreté. Et pourtant, treize ans après, le sauvage assassinat de frère Christian, frère Luc, frère Christophe, frère Michel, frère Célestin, frère Paul et frère Bruno continue de susciter un écho douloureux dans le coeur des hommes de bonne volonté.Le martyre des moines de Tibéhirine, coupables d’avoir voulu témoigner de l’Évangile par la prière et la fraternité avec le peuple algérien, reste pour des millions de chrétiens et de non-chrétiens, de part et d’autre de la Méditerranée, une cause de scandale d’autant plus vivace qu’un troublant halo de mystère semble entourer les circonstances de leur disparition.

Il faut lire le témoignage précis et émouvant du père Armand Veilleux, ancien procureur général de l’ordre des Cisterciens, que nous publions cette semaine. Du récit circonstancié de celui qui fut le responsable des frères de Tibéhirine, une impression se dégage : celle que la vérité, piégée dans les entrelacs des rivalités de services, des complaisances judiciaires, des compromissions diplomatiques, des transactions politiques, a été, tout au long de ces années, volontairement laissée de côté. Comme si planait sur cette tragique affaire l’ombre d’un mensonge d’État.

Les sept religieux ot-ils été enlevé et massacrés par un commando du Groupe islamique armé, comme l’affirme la thèse officielle ? Ce groupe, ainsi que le soutient une deuxième thèse accréditée par certains témoignages, était-il lui-même «l’instrument» du pouvoir algérien (ou d’un clan au sein de ce pouvoir) qui aurait pu vouloir, en fomentant cet acte monstrueux, dresser l’opinion publique internationale contre le « péril islamiste » ? Les moines, selon une troisième thèse qui s’appuie sur la déposition d’un officier français révélée cette semaine par Le Figaro, sont-ils tombés sous les balles des militaires algériens lors d’une opération de « ratissage» qui aurait mal tourné ? Les mêmes auraient-ils commandité, ou perpétré, deux mois plus tard l’assassinat de Mgr Claverie, l’évêque d’Oran, coupable de s’intéresser d’un peu trop près à la question ? Les autorités françaises, par souci de ménager les services algériens dont la collaboration était jugée indispensable pour démanteler les réseaux terroristes à l’œuvre sur notre territoire, ont-elles tu ce qu’elles savaient ? Ont-elles préféré ne pas savoir ? Autant d’interrogations auxquelles la levée du secret-défense annoncée par Nicolas Sarkozy permettra, peut-être, d’apporter des réponses judiciaires. Au lendemain d’une décision analogue dans le dossier de l’attentat de Karachi (lui aussi mis un peu vite sur le dos des islamistes ?), on ne peut que se réjouir que soient levés, côté Français, les obstacles à la manifestation de la vérité.

Evidemment, côté algérien, l’affaire n’ira pas sans causer quelques difficultés. Prompt à exiger de la France les démonstrations d’une éternelle repentance (mais le ferait-il encore si notre pays, par lâcheté, ne l’y avait si longtemps encouragé ?), Abdelaziz Bouteflika n’est guère désireux que remontent à la surface les secrets de certaines compromissions avec les islamistes qui, depuis le temps de son prédécesseur Liamine Zeroual (au pouvoir à l’époque du drame de Tibéhirine), ont pris les apparences d’un véritable – et inquiétant – «compromis historique ». Pas plus qu’il ne souhaite que soit attirée l’attention des opinions européennes sur le sort des chrétiens d’Algérie, victimes, dans l’indifférence générale, d’une véritable campagne de persécution. Attendons-nous (c’est parti !) à de violentes attaques contre « l’esprit de vengeance » de la «puissance coloniale»…

Vengeance ? Aucun mot n’était pourtant plus étranger au vocabulaire des moines de Tibéhirine. Deux ans avant une mort qu’il avait par avance offerte en sacrifice, Christian de Chergé, le prieur de la communauté, dans un «testament » bouleversant, avait déjà pardonné à ses assassins. Mais le pardon n’est pas l’oubli. Il suppose la connaissance des faits : rien ne justifierait que l’on ensevelisse dans le linceul du mensonge les martyrs qui ont péri au nom de la vérité.

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